Stigmatisation et discrimination vécues par les personnes atteintes d’albinisme au Togo en 2020

[Stigma and discrimination experienced by people with albinism in Togo in 2020]

Abla Sefako Akakpo1, Julienne Noude Téclessou2, Frédéric Yakoubou Youa3, Panawé Kassang4, Kossivi Agbélenko Afanvi5, Reine-Pélagie Gligbe1, Piham Gnossike6, Abas Mouhari-Touré4, Tossou Atchrimi7, Koussaké Kombaté2, Didier Koumavi Ekouevi3, Palokinam Pitché1, Bayaki Saka1

1Dermatology and Venereology Department, CHU Sylvanus Olympio, Laboratory “ Skin and Environment ”, University of Lomé, Togo, 2Dermatology and venereology department, CHU Campus, Laboratory “ Skin and Environment “, University of Lomé, Togo, 3Public Health Department, University of Lomé, Togo, African Centre for Research in Epidemiology and Public Health Centre (CARESP), 4Dermatology and Venereology Department, CHU Kara, University of Kara, Togo, 5Zio Prefectoral Health Department, Togo, 6Gbossimé Dermatology Centre, Lomé, Togo, 7Department of Sociology, University of Lomé, Togo

Corresponding author: Abla Sefako Akakpo, MD, E-mail: sefasyl@yahoo.fr

How to cite this article: Akakpo AS, Téclessou JN, Youa FY, Kassang P, Afanvi KA, Gligbe RP, Gnossike P, Mouhari-Touré A, Atchrimi T, Kombaté K, Ekouevi DK, Pitché P, Saka B. Stigma and discrimination experienced by people with albinism in Togo in 2020. Our Dermatol Online. 2025;16(Supp. 1):12-20.
Submission: 20.01.2025; Acceptance: 22.02.2025
DOI: 10.7241/ourd.2025S1.3

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ABSTRACT

Objective: The aim of this study was to describe aspects of stigma and discrimination experienced by people with albinism (PWA) in Togo in 2020.

Patients and Methods: This is cross-sectional study, conducted over a period of three-months period from march to May 2020 among PWAs living in Lomé (Togo) to gather their experiences of stigma and discrimination.

Results: A total of 60 PWAs were interviewed. Their median age was 28.0 years and the sex ratio (M/F) was 1.5. Oculocutaneous albinism was of natural cause according to the majority of respondents (n=58; 96.7%). Stigmatization by a third party (n=40; 66.7%) was the major form of stigmatization experienced by PWAs, followed by self-stigmatisation (n=13; 21.7%). People who were victims of external stigmatisation were more likely to be victims of self-stigmatization than those who were not (37.5%). The main aspects of stigmatisation by a third party were aggressions/threats (verbal/physical) (92.5%), exclusion from social events (25.0%) and difficulties in accessing housing or refusal of employment (25.0%). Self-stigmatisation was manifested mainly by a permanent feeling of shame in 61.5% of PWAs, self-devaluation in 30.8% of them, leading to suicidal ideation in 23.1%.

Conclusion: Stigma affects more than two-thirds of PWA in Togo. The demystification of false beliefs concerning albinism is essential and it is necessary to integrate a psychological component in their care.

Key words: Albinism, Stigma, Discrimination, Lomé, (Togo)


RÉSUMÉ

Objectif: Le but de cette étude était de décrire les aspects de la stigmatisation et de la discrimination vécues par les personnes atteintes d’albinisme (PAA) au Togo en 2020.

Patients et méthode: Il s’est agi d’une étude transversale, menée sur une période de trois mois, de mars à mai 2020 chez les PAA résidant à Lomé (Togo) afin de recueillir leurs expériences de stigmatisation et de discrimination.

Résultats: Au total, 60 PAA ont été enquêtées. Leur âge médian était de 28,0 ans et le sex-ratio (H/F) de 1,5. L’albinisme oculo-cutané était de cause naturelle selon la majorité des enquêtés (n=58; 96,7%). La stigmatisation par une tierce personne (n=40; 66,7%) était la forme majeure de stigmatisation vécues par les PAA, suivie de l’auto-stigmatisation (n=13; 21,7%). Les personnes victimes d’acte de stigmatisation externe étaient plus victimes d’actes d’auto-stigmatisation que celles qui ne l’étaient pas (37,5%). Les principaux aspects de la stigmatisation par une tierce étaient les agressions/menaces (verbales ou physiques) (92,5%), les exclusions des manifestations sociales (25,0%) et les difficultés d’accès au logement ou un refus d’emploi (25,0%). L’auto-stigmatisation se manifestait principalement par un sentiment permanent de honte chez 61,5% des PAA, une auto dévalorisation de soi chez 30,8% d’entre elles, et des idées suicidaires chez 23,1% des PAA.

Conclusion: La stigmatisation touche plus des deux-tiers des PAA au Togo. La démystification des fausses croyances concernant l’albinisme s’avère indispensable et il est nécessaire d’intégrer un volet psychologique dans leur prise en charge.

Mots-clés: Albinisme, Stigmatisation, Discrimination, Lomé, (Togo)


INTRODUCTION

Définition Et Prévalence

L’albinisme oculo-cutané (AOC) regroupe un ensemble d’affections héréditaires liées à des anomalies génétiques de biosynthèse de la mélanine [1]. Ce dysfonctionnement des mélanocytes entraîne une production réduite ou absente de mélanine dans la peau, les cheveux et les yeux. Cela se traduit par des caractéristiques physiques telles que la peau très claire, les cheveux blonds ou blancs et les yeux clairs, ainsi que des problèmes de vision (vision basse non corrigible) [1,2]. Les personnes atteintes d’albinisme (PAA) présentent donc une différence et sont sujettes à des conditions pathologiques cutanées et oculaires [2]. En Afrique, la prévalence de l’albinisme est estimée à 1 sur 1000 [3]. La naissance d’un enfant atteint d’albinisme de deux parents de peau noire reste une énigme pour de nombreuses populations africaines, souvent source de valeurs morales et physiques particulières à cette condition [4].

Stigmatisation Et Discrimination Des PAA

Les PAA sont souvent victimes de stigmatisation et discrimination, les plaçant dans une position subordonnée par rapport aux individus considérés comme “normaux”. Les stéréotypes sociaux et les comportements discriminatoires sont enracinés dans des croyances culturelles et des mythes. Les valeurs morales et physiques attribuées aux PAA ne proviennent pas de leurs caractéristiques corporelles intrinsèques, mais de la signification sociale qui leur est donnée. L’albinisme, en raison de ces représentations sociales, induit alors une rupture identitaire chez les individus concernés. Cette rupture se traduit par une perte de repères sociaux qui permettaient aux PAA de se sentir exister en tant que personnes, révélant ainsi les limites de leur condition humaine [4].

Mythes Et Croyances Autour De l’Albinisme

Les mythes et les croyances entourant les PAA incluent des idées fausses sur leur origine et font d’elles, des victimes de crimes rituels et leurs organes utilisés comme des gris-gris ou talismans censés porter chance et ou être des produits thérapeutiques. Ces croyances alimentent des usages sociaux et symboliques donnant lieu à des formes de stigmatisation et de discrimination dans de nombreuses sociétés [4,5].

Contexte Socioculturel Et Épidémiologique Au Togo

En Afrique noire, la société reste largement influencée par des représentations ancestrales. La santé est perçue comme une émanation de la force vitale divine, et la maladie est souvent attribuée à une intervention surnaturelle. La configuration traditionnelle crée des pesanteurs sociales et impose des étiquettes et des codes qui forment l’économie mythique de ces communautés. L’albinisme est ainsi vu comme le résultat de malédictions ou de tabous brisés, conférant au corps des attributs mythiques et métaphysiques [4,5].

Au Togo, les PAA sont regroupées au sein de l’Association Nationale des personnes atteintes d’albinisme (ANAT) qui rassemble à ce jour, plus de 500 membres dont une centaine à Lomé [6]. Dans un contexte social et culturel en pleine transformation, il est crucial de comprendre et de décrire les faits de stigmatisation et de discrimination dont les PAA sont victimes.

Objectif De L’étude

Cette étude vise à décrire les aspects de la stigmatisation et de la discrimination vécues par les PAA au Togo en 2020. A travers une analyse critique des discours et des représentations sociales entourant l’albinisme, nous explorerons comment ces croyances et mythes alimentent les usages sociaux et symboliques de l’albinisme.

PATIENTS ET MÉTHODES

Schéma D’étude Et Cadre D’étude

Il s’est agi d’une étude transversale menée sur une période de trois mois de mars à mai 2020.

Les structures de l’ANAT de Lomé (Togo) ont servi de cadre d’étude. Le Togo est un pays d’Afrique de l’Ouest, avec une superficie de 56600 km². La population en 2022 était estimée à 8 095 498 millions d’habitants, avec une prédominance urbaine [7].

Population D’étude

La population d’étude était constituée de tous les PAA qui sont membres de l’ANAT et résidant à Lomé au Togo. Ont été inclus dans cette étude, tous les PAA de 11 ans et plus, présents sur le site d’étude au moment de l’enquête. Le consentement et l’assentiment des participants ont été recueillis. Les PAA de moins de 18 ans ont répondu en présence et avec l’aide de leurs parents ou tuteurs.

Recrutement Des Participants

Nous avons fait un recrutement exhaustif de tous les PAA répondant aux critères d’inclusion. Les participants ont été recrutés via l’ANAT, avec des annonces faites lors de réunions de l’association et via des contacts directs.

Collecte De Données

La collecte a consisté à des recueils de données qualitatives et quantitatives. Les données ont été collectées à l’aide de questionnaires structurés et d’entretiens semi-directifs. La collecte qualitative s’est articulée autour d’une méthodologie composée de divers types de prospections permettant d’obtenir une triangulation des informations. Celles-ci portaient sur la vie des PAA dans ses biographiques, relationnelles afin d’analyser les représentations et les pratiques face à l’affection.

Les données quantitatives ont été recueillies lors d’un entretien face à face avec les participants, à l’aide d’une fiche préétablie.

Les variables d’études étaient sociodémographiques (âge, sexe, notion d’albinisme familial), les connaissances sur l’albinisme (cause, notion sur l’hérédité), la perception et stigmatisation (ressentis de l’entourage et de la communauté, l’auto considération, les actes de stigmatisation).

Traitement Des Données

L’analyse a été réalisée avec le logiciel R version 3.3.2. Les variables quantitatives ont été décrites en médiane et Intervalle Interquartile. La comparaison des variables qualitatives a été effectuée avec les tests de chi-2 ou le test exact de Fisher avec un seuil de significativité de 5%.

Considérations Éthiques Et Réglementaires

Cette étude a été approuvée par le comité bioéthique pour la recherche en santé au Togo (Référence N°015/2019/CBRS). Le consentement éclairé des participants a été obtenu avant le remplissage des questionnaires. Il leur a été expliqué l’objectif de l’étude.

RÉSULTATS

Caractéristiques De La Population Étudiée

Nous avons enquêté au total 60 PAA, d’âge médian de 28,0 ans et de sex-ratio (H/F) de 1,5 (Tableau 1). La majorité des PAA (n=57) résidait en milieu urbain et 51,7% (n=31) étaient célibataire. Seulement 25,0% (n=15) avaient déclaré avoir un lien familial d’albinisme et la moitié (n=30), avaient des collatéraux atteints d’albinisme. Parmi nos PAA, 24 (40,0%) avaient des conjoints, tous de peau génétiquement pigmentée et 15 d’entre eux avaient des enfants dont aucun n’était atteint d’albinisme (Tableau 2).

Tableau 1: Caractéristiques sociodémographiques des participants par sexe (N=60).

[Socio-demographic characteristics of participants by gender (N=60).]

Tableau 2: Caractéristiques liées au lien familial de l’albinisme.

[Characteristics linked to the albinism family relationship.]

Connaissances De La Cause De L’albinisme

L’albinisme était de cause naturelle selon la majorité des enquêtés (n=58; 96,7%) (Tableau 3).

Tableau 3: Perception et stigmatisation des PAA par sexe (N=60).

[Perception and stigmatisation of PWAs by gender (N=60).]

Stigmatisation Externe

Plus de la moitié des PAA enquêtées (n=40; 66,7%) étaient victimes d’actes de stigmatisation externe (Tableau 3). Les principaux aspects de la stigmatisation par une tierce personne étaient les agressions/menaces verbales/physiques (92,5%), les exclusions des manifestations sociales (25,0%) et les difficultés d’accès au logement ou un refus d’emploi (25,0%) (Tableau 4). Aussi, la majorité des PAA déclaraient être considérées comme un africain blanc par les autres. Ainsi, le terme «Agbélitimé Yovo» (n=25; 32,1%) signifiant «blanc de champ de manioc» avec ses différentes variantes était le surnom attribué aux PAA (Tableau 5). La connaissance d’un PAA de leur entourage victime de crimes rituels ou de mutilations était retrouvée chez 11,7% (n=7) des PAA (Tableau 3).

Tableau 4: Principales causes de stigmatisation par sexe.

[Main causes of stigmatisation by gender.]

Tableau 5: Surnoms donnés aux participants, N=60.

[Main causes of stigmatisation by gender.]

Stigmatisation Interne

L’auto-stigmatisation était rapportée par 21,7% (n=13) des PAA et se manifestait principalement par un sentiment permanent de honte chez 61,5% (n=8), une auto dévalorisation de soi chez 30,8% (n=4), et des idées suicidaires chez 23,1% (n=3). Les craintes de stigmatisation étaient principalement la peur d’être insultée, harcelée verbalement ou physiquement (n=8, 61,5%), la peur de commérages sur soi (n=7, 53,8%) (Tableau 6).

Tableau 6: Actes d’auto-stigmatisation par les PAA (N=13).

[Acts of self-stigmatisation by PAAs (N = 13).]

L’affection se manifeste comme une forme de possession, une puissance colossale rongeant l’individu et lui dictant sa conduite, brisant certains aspects de sa respectabilité, sa réputation éventuelle d’homme, comme le témoignent ces propos: «Tout ce qu’on nous dit, est dommage. Mais la réalité est que nous ne sommes pas comme les autres. Avec ce comportement à notre endroit qu’est-ce que vous pensez que nous pourrions faire ? Pour les gens ayant des taches comme moi, c’est encore plus grave. Nous remarquons qu’il y a des personnes qui nous discriminent par leurs regards. Cela rappelle que nous nous ne sommes pas comme les autres». «Malgré les efforts qui se font pour nous donner le moral, nous sommes toujours inquiets de ce qui se passe. On est parfois en colère. Ce n’est gai de se retrouver dans la situation qui est la nôtre. Des interrogations sur notre vie, notre rapport aux autres».

Et un autre d’ajouter: «Que c’est dur pour moi d’avoir cette peau. C’est une vraie punition, cette maladie. Qu’ai-je fait pour la mériter ? En tout cas, je ne souhaite pas ça pour un proche. Je me remets à Dieu» Comme si faire entrer le mal en soi était le signe d’une abdication devant l’altérité.

Stigmatisation Externe Et Auto-Stigmatisation Chez Les PAA

En analyse bivariée, 37,5% (n = 12) des PAA victimes d’acte de stigmatisation signalaient des actes d’auto-stigmatisation (Tableau 7). L’exclusion des manifestations sociales, l’exclusion des manifestations religieuses, l’exclusion des manifestations familiales et les difficultés d’accès au logement/refus d’emploi étaient significativement associées à l’auto-stigmatisation.

Tableau 7: Données sur l’auto-stigmatisation.

[Data on self-stigmatisation.]

DISCUSSION

Forces Et Originalité

Une des principales forces de cette étude réside dans son approche holistique pour comprendre la stigmatisation des PAA au Togo. Contrairement à de nombreuses études antérieures qui se concentraient principalement sur les aspects médicaux ou sociaux de l’albinisme, notre recherche intègre des dimensions à la fois socioculturelles et psychologiques, fournissant ainsi une vue d’ensemble plus complète. Cette étude se distingue également par son utilisation d’une méthode mixte, combinant des données quantitatives et qualitatives, ce qui permet de trianguler les résultats et d’offrir une perspective nuancée sur les expériences des PAA. En outre, elle met en lumière des aspects souvent négligés, tels que l’auto-stigmatisation et l’impact psychologique des surnoms péjoratifs.

Un autre élément d’originalité de notre étude est l’exploration des croyances superstitieuses locales et leur influence sur les perceptions et les comportements envers les PAA. En examinant les différences de perception à travers diverses cultures africaines, notre recherche contribue à une meilleure compréhension des dynamiques sociales spécifiques à chaque contexte culturel. De plus, en incluant une analyse comparative avec d’autres études menées dans différents pays africains, nous avons pu identifier des tendances communes et des particularités locales, enrichissant ainsi la base de connaissances existantes sur l’albinisme en Afrique.

Comparaison Avec Les Études Antérieures

L’âge médian des PAA dans notre étude était de 28,0 ans, comparable à celui de Madubuko et al. [8] au Bénin, d’Inena et al. [9] en République Démocratique du Congo (RDC) qui ont trouvé respectivement un âge moyen de 24,1 ans et de 26,5 ans. En revanche, Picard et al. [10] en France avaient rapporté un âge moyen plus élevé de 43,98 ans, probablement en raison d’une espérance de vie plus longue, car les PAA en Afrique sont plus vulnérables aux effets des rayons ultraviolets, aux cancers cutanés et à l’accès limité aux soins médicaux. Parmi les enquêtés, 51,7% (n=31) étaient célibataires. Dans l’étude d’Inena et al. [9],76,3% (n=45) étaient célibataires.

En ce qui concerne la cause perçue de l’albinisme, 96,7% des enquêtés considéraient une cause naturelle. En Tanzanie, seuls 14% considéraient l’albinisme comme une maladie héréditaire. Les croyances en de nombreuses superstitions locales étaient plus répandues notamment une malédiction infligée à la famille ou à la mère mangeant avec un albinos ou serrant leur main [11]. Au Zimbabwe, 50,7% des enquêtés n’avaient aucune connaissance sur la cause de l’albinisme; 10,9% pensaient à une cause biologique et 13,8% que Dieu en était responsable [12]. Il résulte de tout ce qui précède que des efforts de sensibilisation et d’éducation doivent être poursuivis, afin de transmettre une bonne et juste compréhension de l’origine naturelle et génétique de l’albinisme dans la population africaine.

Stigmatisation Externe

Plus des deux-tiers (66,7%) de nos enquêtés ont été victimes de stigmatisation, principalement une agression ou une menace verbale ou physique (n=37; 92,5%). En RDC, Inena et al. [9] ont révélé que 24,4% des enquêtés étaient victimes de discrimination de la part de leurs proches et 67,4% de la société. Au Cameroun, Aquaron et al. [13] ont constaté que la naissance d’un enfant atteint d’albinisme peut conduire à la répudiation de la mère par le père et la belle-famille surtout si elle donnait naissance successivement à deux enfants atteints d’albinisme. Pour Anshelevich et al. [14] au Botswana, l’ampleur de la stigmatisation des PAA dans cette société est telle qu’ils la considèrent comme dépassant la stigmatisation par le VIH/Sida. Ces résultats prouvent la réalité non négligeable des actes de stigmatisation des PAA dans nos sociétés.

Surnoms Péjoratifs

Notre étude a montré que le terme «Agbélitimé Yovo» (n=25; 32,1%) était le surnom le plus courant des PAA du Togo. Au Mali, Imperato et al. [15] ont relevé le surnom «Yéfeguéw». Au Cameroun, Aquaron et al. [13] ont recensé «Nguenguerou» et «Nassaras» comme les deux termes courants selon le dialecte des Yambassas. En Tanzanie selon Brocco et al. [16], c’est plutôt «zeruzeru» (fantôme), «mzungu» (personne blanche) et «di» signifiant «marché» en référence au commerce des parties du corps des PAA sur le marché noir. Ces résultats illustrent l’existence dans plusieurs pays d’Afrique, de surnoms pour la plupart péjoratifs et moqueurs pour désigner les PAA.

Crimes Rituels Et Mutilations

Enfin, sept enquêtés (11,7%) avaient déclaré avoir eu une PAA de leur entourage victime de crimes rituels ou de mutilations. Au Botswana, Anshelevich et al. [14] avaient rapporté que les PAA avaient subi des agressions physiques mineures, des menaces de violence, des persécutions et/ou des tentatives d’enlèvement. Le rapport du comité consultatif du conseil des droits de l’homme sur l’étude de la situation des droits des PAA a mentionné en 2017 plus de 340 agressions dont 134 meurtres dans 25 pays [17]. Ces exemples montrent que les PAA subissent des agressions physiques partout en Afrique. Ceci dénote l’impact des mythes et des superstitions autour de l’albinisme avec le manque d’information sur son origine génétique.

La personne stigmatisable s’attache au contrôle de l’information à l’égard de son stigmate (le cacher, le dire à certains, le révéler). La personne stigmatisée doit gérer la tension entre la norme sociale et la réalité personnelle (se voir confrontée aux réactions gênées de son entourage). Elle se trouve généralement réduite à son stigmate: toutes ses actions sont interprétées à travers ce prisme. Ces manières de faire enlèvent à l’autre toute épaisseur de vie et, surtout, ne permettent pas de comprendre ce que l’on fait à cette vie [18].

Auto-stigmatisation

Par rapport à l’auto-stigmatisation, 21,7% de nos enquêtés (n=13) avaient des sentiments de stigmatisation interne. Aquaron et al. [13] ont rapporté les actes d’auto-stigmatisation des mères d’enfants atteints d’albinisme Bamilékés qui se sentaient déprimées, malheureuses répugnantes à s’occuper de leur enfant atteint d’albinisme et à le nourrir au sein. Ces résultats soulignent l’effet négatif de la stigmatisation externe sur l’auto-considération des PAA et leur choix quotidien de vie.

Limites de l’étude

Les principales limites de notre étude incluent: i) la restriction de l’échantillon aux PAA membres de l’ANAT résidant à Lomé, ce qui ne représente qu’environ un cinquième des PAA du Togo; ii) la véracité des affirmations concernant les crimes rituels. Malgré ces limites, les résultats confirment que les actes de stigmatisation et de discrimination des PAA en raison de leur couleur de peau sont bien réels dans notre société.

Perspectives

Les résultats de cette étude ouvrent plusieurs perspectives de recherche et d’action pour améliorer la situation des PAA au Togo et d’ailleurs. D’abord, il serait pertinent de mener des études similaires dans d’autres régions du Togo et dans d’autres pays africains pour vérifier la généralisation des tendances observées à Lomé. Une extension de l’échantillon permettrait de mieux comprendre les variations régionales et culturelles des perceptions et des expériences des PAA. En outre, des recherches longitudinales seraient utiles pour suivre l’évolution des attitudes et des comportements à l’égard des PAA au fil du temps, particulièrement en réponse à des interventions éducatives et de sensibilisation.

Un autre axe de recherche pourrait explorer plus en profondeur les mécanismes d’auto-stigmatisation et leur impact sur la santé mentale et le bien-être des PAA. Des études qualitatives, telles que des entretiens approfondis et des groupes de discussion, pourraient fournir des insights précieux sur les expériences personnelles des PAA et les stratégies qu’ils développent pour faire face à la stigmatisation. Par ailleurs, il serait intéressant d’examiner l’efficacité des programmes éducatifs et des campagnes de sensibilisation en cours, en évaluant leur impact sur les connaissances et les attitudes du public envers l’albinisme.

CONCLUSION

Cette étude au Togo met en évidence que la stigmatisation des PAA est une réalité marquante. Elle affecte négativement le bien-être et la qualité de vie des PAA. Plus des deux-tiers d’entre elles à Lomé, étaient victimes d’actes de stigmatisation. Les facteurs associés à l’auto-stigmatisation étaient la victimisation des PAA. Ces résultats sont similaires à ceux d’autres pays de l’Afrique montrant l’importance de promouvoir la sensibilisation et l’éducation sur l’origine naturelle et génétique de l’albinisme pour combattre les superstitions et réduire la stigmatisation et la discrimination des PAA. Des efforts concertés sont nécessaires pour améliorer les conditions de vie des PAA en Afrique. Il s’avère indispensable d’adopter des stratégies éducatives et de politiques publiques pour protéger les droits et améliorer les conditions de vie des PAA, de même que celle de leur entourage sur l’origine naturelle de leurs différences physiques.

ACKNOWLEDGEMENTS

La stigmatisation et la discrimination des PAA sont des obstacles à leur épanouissement dans la société.

Statement of Human and Animal Rights

All the procedures followed were in accordance with the ethical standards of the responsible committee on human experimentation (institutional and national) and with the 2008 revision of the Declaration of Helsinki of 1975.

Statement of Informed Consent

Informed consent for participation in this study was obtained from all patients.

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Notes

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